Cette semaine marque le début de The Forgotten Exodus - A Canadian Refuge, une exposition de portraits à Bibliothèque et Archives Canada de la dernière génération de Juifs sépharades et mizrahis nés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Iran qui ont immigré au Canada. L'exposition raconte « l'histoire des réfugiés, qui portent en eux la nostalgie et parfois des souvenirs douloureux, et tout cela [...] est gravé sur leur visage ». Ces émotions et ces souvenirs ne sont que trop familiers pour moi et ma famille.
Ma mère fait partie de ces nombreux Juifs qui ont fui leurs maisons alors que leurs familles avaient prospéré pendant des générations. Selon les statistiques officielles, entre les années 1940 et le début des années 1970, plus de 850 000 Juifs ont été contraints de quitter leurs foyers en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, laissant derrière eux des êtres chers, des vies ainsi que des biens et des avoirs importants.
À Bagdad, où les Juifs représentaient un tiers de la population, ma mère, comme des générations avant elle, était profondément intégrée dans la société. À la maison, elle et sa famille parlaient arabe. Leurs voisins et amis étaient juifs, musulmans et chrétiens. Mon grand-père, Saleh Kahtan, était membre du Parlement et conseiller juridique du ministre des Finances et ma grand-mère, dans son enfance, était la compagne de jeu des enfants du sultan.
Un tournant pour les Juifs d'Irak a été le Farhoud, un pogrom meurtrier, du 1er au 2 juin 1941, inspiré par des sympathisants nazis irakiens, durant lequel ont été tués plus de 180 Juifs de Bagdad, avec plusieurs centaines d'autres mutilés, violés, battus et blessés et où près de mille demeures juives furent détruites. A partir de ce moment, l'incitation et la violence anti-juives se sont insinuées dans la vie quotidienne. Dix ans plus tard, en 1951, des milliers de Juifs irakiens avaient fuient le pays, mais ils n'étaient autorisés à le faire que s'ils laissaient tout derrière eux – y compris leur citoyenneté -, une condition que mon grand-père refusa en pensant qu'il aurait d'autres occasions de partir plus tard. Ma mère ne le reverrait jamais plus.
Le déplacement forcé, la dépossession et l'expulsion des Juifs des pays arabes ont été marqués par des incitations officielles à la violence, des vols, des manifestations violentes, des incendies criminels, des pogroms et des meurtres, mettant ainsi fin à plus de 2000 ans de vie et de culture juives au Moyen-Orient.
Malgré tout, en moins d'une génération, plus de 850 000 Juifs ont recommencé à zéro et ont construit une nouvelle vie et planté de nouvelles racines en veillant à ce que leur apatridie ne soit pas transmise. Ils sont maintenant des citoyens actifs et fiers de leurs nouveaux pays d'adoption à travers le monde, certains ayant choisi le Canada comme nouveau foyer.
Malheureusement, la communauté internationale n'a jamais accordé beaucoup d'attention à l'histoire des réfugiés juifs des pays arabes.
En 1956, suite aux demandes du Congrès juif canadien (prédécesseur du CIJA), le gouvernement canadien a décidé, « compte tenu des besoins humanitaires urgents », de renoncer aux protocoles pour faciliter l'installation des Juifs d'Afrique du Nord au Canada. En mars 2014, le Canada a officiellement reconnu la situation des Juifs qui ont fui ou ont été expulsés des pays arabes. Leur tragédie a également été reconnue à l'Assemblée nationale du Québec.
C'est l'histoire de ma mère, mon histoire et ce sont mes racines. Je suis fière du travail accompli par le CIJA, tant au niveau provincial que fédéral, pour faire reconnaître la situation critique des réfugiés juifs des pays arabes. Des initiatives telles que celles entreprises par Sephardi Voices et son fondateur Henry Green jouent également un rôle essentiel dans la sensibilisation à cette question.
Cependant, pour faire le deuil de la perte et tirer des leçons du passé, il est essentiel de sensibiliser les gens à cette partie de notre histoire. L'exposition Forgotten Exodus s'accompagne du don de Sephardi Voices de la collection Victor and Edna Mashaal, une série de près de 100 entretiens, portraits, documents et photographies relatant les histoires de vie de la communauté sépharade-mizrahi canadienne, qui sera déposée aux Archives nationales.
En 2014, le gouvernement d'Israël a désigné le 30 novembre comme Journée de commémoration de l’exode et de l’expulsion des Juifs des pays arabes et d’Iran, et le Canada est l'un des rares pays à reconnaître officiellement cet exode. Néanmoins, il y a encore beaucoup de travail à faire en matière de sensibilisation. Le 2 juin, journée qui marque l'anniversaire du Farhoud, notre histoire fera désormais partie du patrimoine canadien grâce à l’intégration de tous ces témoignages à Bibliothèque et Archives Canada. Nous ne nous contentons pas de nous souvenir, nous témoignons de notre passé afin que d'autres puissent en tirer des leçons. Je représente la prochaine génération de cette histoire, une fière Montréalaise, Québécoise et Canadienne, avec de profondes racines au Moyen-Orient. Je porte en moi les expériences, le patrimoine et la culture de ceux qui m’ont précédé et je fais mien le devoir de partager leur histoire.
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